J’ai cru avoir écrit hier mais je ne retrouve pas le cahier dans lequel j’avais écrit. Ce n’est pas plus mal, nouvelle feuille, nouveau départ ? J’ai mal au bras ce matin. Je demanderai à Jean de me prendre rendez-vous chez le médecin quand il viendra me voir, s’il vient. Mon café est froid. Je vais le réchauffer.
C’est vrai qu’en ce moment je ne me sens pas très bien, pour être honnête. Je pense que c’est parce que Georges rentre très tard du travail en ce moment. Je m’ennuie. Parfois j’essaie de l’attendre mais finalement je m’endors sur le canapé. J’ai sûrement déjà écrit ça hier. Quelqu’un sonne à la porte, je continuerai d’écrire ce soir.
-Bonjour Maman !
-Ah c’est toi, Jean, mon chéri. Comment tu vas ? dit-elle en se levant douloureusement mais ravie.
-Bah super bien et toi ? Tu me fais un café ?
Elle adore son fils. Son unique fils, devenu adulte et père de famille. Quand elle pense à lui, elle se dit qu’elle a au moins réussi quelque chose sur cette terre. Elle est heureuse quand il vient la voir. Mais il est très pris. Même quand il est là, il n’est pas vraiment là, il parle à son téléphone. Elle l’entend depuis la cuisine mais elle ne comprend rien. Toute guillerette, elle ouvre le micro-ondes pour y mettre les deux tasses de café et remarque qu’il y en a déjà trois à l’intérieur. Elle les retire, les pose doucement dans l’évier en s’interrogeant.
-Excuse moi, un collègue m’a demandé quelque chose. Ca va pas maman? demande Jean, inquiet, en rentrant dans la cuisine.
-Si, si, mon chéri rassure-t-elle, avec un doux sourire.
Ils s’installent dans le salon, parlent de tout et de rien avant que Jean s’en aille, pour continuer sa vie. Elle, n’a plus vraiment de vie. Elle est rythmée par les visites, notamment celles de son fils, qui lui met sa vie en pause pour venir voir sa mère, au contraire. Elle le regarde partir depuis la fenêtre et y reste de longues minutes avant de reprendre une feuille et un stylo.
J’ai cru avoir écrit tout à l’heure mais je ne retrouve pas le cahier dans lequel j’avais écrit. Ce n’est pas plus mal, nouvelle feuille, nouveau départ ? J’ai mal au bras aujourd’hui. Je demanderai à Georges de me prendre rendez-vous chez le médecin quand il rentrera ce soir, s’il rentre. Mon café est froid. Je vais le réchauffer. Jean est passé me voir aujourd’hui. Il me parle de plus en plus de tout et de n’importe quoi, et surtout de n’importe quoi. Il m’a encore parlé de gens que je ne connais pas sans m’expliquer de qui il s’agit. Une certaine « Agnès » ou « Anne ». Il ne m’en avait jamais parlé. J’espère qu’il ne trompe pas sa femme.
Elle tapote son stylo sur la table, pensive, avant de se lever et d’aller chercher une bouteille de vin. Georges n’aime pas qu’elle boive mais Georges n’est pas là et elle est malheureuse. Après avoir rempli son verre, elle prend la bouteille et son verre plein avec elle jusqu’au canapé.
J’ai eu envie d’écrire ce matin. Ca fait longtemps que j’ai envie de réécrire, comme avant. J’ai cru avoir écrit il y a quelques temps mais je ne retrouve pas le cahier dans lequel j’avais écrit. Ce n’est pas plus mal, nouvelle feuille, nouveau départ ? J’ai mal à la tête ce matin. Je demanderai à Jean de me prendre rendez-vous chez le médecin quand il viendra me voir, s’il vient. Je vais commencer par jeter cette bouteille vide avant qu’il ne la voie, s’il vient.
Au moment où elle entend quelqu’un frapper à la porte, elle se précipite pour cacher la feuille et la bouteille sous le canapé.
-Bonjour Maman, tu vas bien ?
-Oh Jean, mon chéri, c’est toi. Viens, je vais te faire un café. Dit-elle à voix pratiquement inaudible, se dirigeant vers la cuisine sans même trop le regarder.
Ils s’installent dans le salon, parlent de tout et de rien.
-Anne va bien, elle vient de s’installer avec son copain.
Gênée de ne pas savoir de quoi il parle, elle hoche la tête.
-Et tes enfants, alors ? Ils vont bien ? demande-t-elle avec un faux rictus embarrassé.
Jean prend une grande inspiration avant de poser sa tasse sur la table basse.
-Maman, j’ai qu’un seul enfant. Je viens de te le dire, elle s’est s’installée avec son copain. Dit-il froidement, presque autoritaire.
-Excuse moi, mon chéri, je n’écoutais pas.
Lorsque Jean s’en va, elle est encore plus triste que d’habitude. Elle reste encore plus longtemps à la fenêtre. Elle se sent ailleurs, décontenancée. Elle retourne au salon et remarque que le canapé n’est pas droit. Elle use de son corps en peinant pour le remettre en place, souffle en s’asseyant dessus, soulagée. Elle regarde par terre et remarque un morceau de feuille. En le prenant, elle remarque d’autres morceaux de feuilles. Elle s’allonge pour voir ce qu’il y a sous le canapé. Quelques bouteilles vides et tout un tas de feuilles. Elle ne comprend pas, en tire quelques unes et ses yeux balayent ces quelques pages, dans un gigantesque frisson, elle les pose devant elle.
« J’ai cru avoir écrit tout à l’heure », « J’ai cru avoir écrit hier », « J’attends encore Georges », « J’ai mal au ventre », « médecin », « Agnès ? Anne ? », « nouveau départ ? »
Les larmes lui montent. Georges n’est jamais rentré. Georges est mort. Elle se sert un verre. Georges est mort. Elle tremble. Elle pleure. Georges est mort. Elle s’allonge sur le canapé, avec une bouteille de vin.
J’ai toujours aimé écrire. Comme je me sens bizarre en ce moment et que Georges rentre tard, j’ai décidé d’écrire, comme avant. J’ai cherché mais je n’ai pas trouvé le cahier dans lequel j’ai déjà écrit. Alors j’ai pris une nouvelle feuille, mais tant mieux : nouvelle feuille, nouveau départ !
Bon jour,
J’aime beaucoup ce texte … vivant et les reliefs d’un personnage expressif par une déchéance qui l’amène entre une réalité floue et un passé présent comme l’arrêt d’une horloge mais dont le souvenir du tic-tac circule tel un fantôme dans ses entrailles …
Max-Louis
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Bonjour,
Merci infiniment d’avoir pris le temps de me faire ce retour. Je suis très touchée que ça vous ait plu.
Flavia
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C’est tellement criant de vérité… Tout le monde est touché de loin ou de près par ce genre de souci… Et c’est cela qui touche autant. Bravo pour tes récits c’est superbe. Bisous ma belle.
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Mille mercis… ça me donne envie de continuer, gros bisous
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Plein d’emotions, les lignes fusent à la lecture, on en veut encore, besoin de tourner des vraies pages en papier pour connaître la suite..
Félicitations Flavia,
.. continue stp!
Rémi
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Ce genre de retours me donnent vraiment envie de jamais m’arrêter!! Merci infiniment Rémi, j’espère que les prochaines lectures te plairont
Flavia
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Tes textes sont plaisant à lire et beaux. En quelques lignes tu captes l’attention du lecteur. Tu es douée, authentiquement douée.
Continue, j’espère le meilleur pour toi !
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Waouh….. merci mille fois, je sais même pas quoi dire… Heureuse de toucher des lecteurs. Je vais continuer c’est sûr !
Merci infiniment Jérémy
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Écrit touchant, plein d’émotions que l’on ressent tout au long de la lecture. Très belle écriture. Bonne continuation! Amitiés
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Merci infiniment je suis très touchée que mes écrit fassent passer l’émotion souhaitée. Merci!
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Ému par ces quelques lignes profondément émouvantes. Bravo Flavia. Continue d’écrire. Tu sais transmettre avec évidence et simplicité, sentiments et émotions. Profite au maximum des possibilités qui sont les tiennes. Continue, tu arriveras à te faire une belle place. Mais pour ma part, rien d’étonnant. Les chats n’ont jamais fait des chiens. Robert, auteur et metteur en scène de ta mère… qui entre parenthèses, est (une Rolls). Au plaisir, blonde…
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Juste merci Robert, ces retours me donnent envie de continuer. J’espère pouvoir être un jour ta collègue
Bises.. à la prochaine
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Formidable et terrible en même temps de réalisme… ce que ressentent ces personnes touchées par ces troubles cognitifs sont très bien exprimés…
Encore bravo miss 👏
(J’adore lire les (et tes) nouvelles, on peut s’imaginer une suite…)
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Merci beaucoup.. j’espère que les autres te plairont aussi
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