Ces moments que je passe avec ma sœur ont toujours été particulièrement précieux pour toutes les deux. Ce sont des trêves, des moments d’apaisement, de réconfort dans lesquels nous mettons nos vies à jour. S’inquiéter pour moi fait partie de son quotidien mais je trouve qu’elle est particulièrement tendue aujourd’hui. Elle me regarde étrangement, de manière soutenue. Elle est trop attentive aux réponses que je formule et pose d’ailleurs beaucoup trop de questions pour que ce soit anodin. En partant, elle me dit : « Regarde dans ton sac. Fais-le, je t’en supplie ». Lorsque je me retrouve seule, je lance un rapide regard en direction de mon sac et j’y vois dépasser un sachet en plastique. Je ne sais pas de quoi il s’agit cette fois encore mais je n’y prête aucune attention, la connaissant. Il s’écoule quasiment une heure avant que j’aille l’ouvrir. C’est un test de grossesse. Je soupire en le jetant à la poubelle et en prévoyant de lui faire croire que je l’ai fait, pour la rassurer.

En me réveillant, je me dirige vers les toilettes machinalement, mais subitement j’hésite. Je reste debout un bon moment devant la porte. Puis finalement, je récupère le test dans la poubelle. Qu’est-ce que ça me coûte ? Je pourrais au moins prouver à Marie que je l’ai fait, je pourrais même lui envoyer une photo du test. Il est écrit sur la notice d’attendre deux minutes avant de lire le résultat. J’en profite pour faire couler mon café. Il faut pas que j’oublie d’aller à la poste, ça fait longtemps que je dois…

Deux traits. Deux traits. C’est quoi, deux traits ? Deux traits : c’est mon monde qui s’écroule dans un tube en plastique. Ici, maintenant, la honte et l’écœurement sont des sentiments désormais palpables. J’ai envie de pleurer, de hurler, de m’assoir, d’appeler Marie, mais je ne fais rien. Je ne sais pas combien de temps mes yeux restent bien en face de ce résultat. Peut-être le temps qu’il faut pour que mon esprit cesse d’attendre un miracle, d’attendre de me réveiller ou de voir le trait de trop disparaître. Il n’y a pas de miracle. Pas aujourd’hui. Et je suis bel et bien là, face à une erreur, une responsabilité que je ne suis pas en mesure d’assumer. Il faut que je respire. Que je fasse quelque chose. Je m’assois par terre, les questions tournent en boucle et plus elles se posent et moins j’arrive à y voir clair. Depuis quand ? Depuis quand est-ce que je ne suis plus seule ? Je finis par enfin saisir le téléphone.

Marie entre dans mon appartement en se dirigeant directement dans les toilettes. Je pleure dans ses bras un long moment avant qu’elle ne se mette à parler.

-Je suis là, Sarah, t’es pas toute seule.

Marie nous accompagne, ma faute, ma honte et moi faire une prise de sang. Lorsque le résultat tombe, Marie me prend dans ses bras, soulagée. « Huit semaines. Tu peux choisir de ne pas le garder, je vais t’accompagner, tout ira bien. » Le soulagement est immense, je vais pouvoir guérir. Je vais pouvoir reprendre ma vie comme avant ce test, et tout ira bien.

Mais tout ne va pas bien. Tout n’ira plus jamais bien, je me déteste. J’ai tout raté. J’aimerais savoir ce qu’il faut que je fasse. J’aimerais te demander ton avis, à toi. A « toi » ? Est-ce que je peux considérer que tu existes ? Je touche mon ventre comme je ne l’avais jamais fait auparavant. Ce n’est pas moi que je touche. J’aurais aimé être capable de te donner la vie, mais je suis irresponsable. C’est d’ailleurs à cause de ça que j’en suis là.

Cette décision a été la plus difficile à prendre de toute ma vie. J’espère que tu ne m’en voudras pas. J’espère que j’ai fait le bon choix. Tu n’auras pas de père. Mais tu as une mère, qui te tient dans ses bras. Je ne sais pas si tu m’aimeras. Je ne peux pas t’assurer que je solutionnerais toujours tes problèmes, mais tes problèmes seront les nôtres. Je ne peux pas te promettre de répondre à tes doutes, mais lorsque tu douteras, nous douterons ensemble. Ma fille, je sais d’avance que je ne serais pas la mère idéale mais je te promets dès maintenant que je vais consacrer le restant de ma vie à faire de mon mieux pour que tu aies tout ce que tu mérites.

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