Il paraît que l’ocytocine -l’hormone de l’amour- nous envahit pendant l’orgasme. De ce fait, il paraît qu’il est difficile de ne pas tomber amoureux de la personne avec qui on couche. Surtout si c’est répété, surtout si c’est souvent. Même si on pense à quelqu’un d’autre, même si on ne discute pas, même si on ne se regarde pas. C’est biologique. Nous ne sommes pas n’importe quel animal. Mais pour toi, j’avais réussi à être l’animal le plus primitif de la nature. On aurait pu continuer comme ça des années. Je ne t’aurais jamais demandé plus, je ne t’aurais jamais envahi. Je n’aurais même jamais souffert. Je t’aimais tellement que je ne pouvais pas te faire ça : je t’aimais tellement que je ne pouvais pas t’aimer. Je serais restée à ma place, loin. Inexistante.

 Je me souviens de la première fois. Je dormais plutôt paisiblement, ce matin-là, avant que ma vessie me réveille aux alentours de 4h30. J’ai eu envie de me lever, de débarrasser ce poids de mon ventre et de retourner à mon sommeil mais je ne pouvais pas. Tu étais là. Juste là, endormi à côté de moi et il ne fallait surtout pas que tu te réveilles. Il était hors de question de laisser le matin nous gâcher la veille, il était surtout hors de question que ton dernier regard posé sur moi soit celui de la culpabilité. Il fallait que je disparaisse. Mais je voulais réaliser un peu, d’abord. Immortaliser, imprimer cette réalité en moi pour toujours. C’était arrivé. C’est arrivé. Pour de vrai. Et tu es toujours là. Silencieux, dans cette chambre. Le lustre cliché de chez Ikea dont on se moquait hier est toujours au-dessus de nos têtes. Après avoir tellement rêvé que ce moment arrive, il est arrivé, plus fort et plus vrai que je n’aurais osé l’imaginer. Il faut vraiment que je pisse. Je me suis levée, plus silencieuse qu’une ombre, j’ai pris mon sac, mes cigarettes, mes vêtements et je vous ai souhaité une bonne fin de nuit, au soleil et à toi. Hier soir, ta main écrasait ma gorge et je percevais de moins en moins ta voix à mesure que je me sentais partir. Ce matin, la Terre entière semble dormir et alors que je tente de m’habiller dans le noir au milieu du salon, mon pied heurte quelque chose. A la lumière de mon téléphone, je distingue La Reine des Neiges sur des petits chaussons.

Tu as une vie. Plus importante que la mienne, plus importante que moi.

Je suis partie sans laisser de trace, comme un cambrioleur. J’ai conduit dans les rues désertes du centre-ville, complètement vide, sans pensée. Ça aurait pu s’arrêter là. Ce qui s’en serait tenu à un écart, à un moment figé dans le temps, à « tiens, une fois j’ai fait ça », est devenu routine. Semaines après semaines, mois après mois, le chemin qui m’amenait à ton lit m’était aussi familier que celui qui m’amenait au travail. Plus je te voyais et plus je renforçais mon bouclier face à l’ocytocine, à tel point que j’oubliais parfois de te dire bonjour. Focalisée sur la ligne directrice, le scénario qui tient en une demi-ligne, j’en oubliais la base de mon éducation. Bonjour, baisons, bonne journée et retour-maison. J’avais ma vie, tu avais la tienne et ces moments ne devaient causer aucune interférence dans celles-ci. J’avais réussi à faire ça. Brillamment. Je vivais ma vie et je recevais un message. On se voyait. Parfois, je t’envoyais un message. On se voyait. Parfois, je vivais trop ma vie pour que l’on se voit, et vice-versa, alors on ne se voyait pas. On se relançait. Quand la vie est douloureuse ou juste pénible, et même quand elle est agréable, il était toujours bon de s’octroyer cette demi-heure de légèreté à la fin de la journée. Ces moments dans lesquels nous étions si proches et connectés, ces moments si invraisemblables et loin de la réalité et parfois, ils étaient au beau milieu de la nuit. Il était bon de conduire dans ces rues désertes, quand la Terre entière semblait dormir, quand la Terre entière croyait que nous dormions.  Je ne réfléchissais pas au sujet d’une éventuelle suite entre nous mais je me souviens être restée convaincue qu’un jour, j’allais trouver l’amour et que notre non-relation s’arrêterait comme ça. Seulement, j’avais tellement respecté la règle de ne pas tomber amoureuse qu’aujourd’hui, j’ai l’impression de ne plus savoir le faire. De ne plus savoir relier les deux, le sexe avec l’amour. Je suis capable de coucher, de prendre toujours plus de plaisir, plus encore que je n’en ai jamais pris avec les personnes dont j’étais amoureuse, je suis même capable de regarder dans les yeux, discuter des heures, dormir l’un contre l’autre et ça n’a jamais aucune interférence dans la vie réelle, dans ma vie à moi. Je rentre et j’oublie. Avant ça, avant d’avoir désespéré l’ocytocine, j’avais remarqué que quelque chose clochait chez toi. Quelque chose avait changé. Ce qui était pratique dans notre scénario en une demi-ligne était que le moindre changement se remarquait comme le nez au milieu de la figure. Il y avait eu, au fil des saisons, des moments de moins bien, je sais. Parfois, tu allais mal et je le savais. Ça ne me regardait pas. Il est arrivé une fois que je te tende la perche. II fallait que je le fasse, à ce moment-là, quand tu allais mal à quatre heures du matin. Il fallait que tu saches que j’étais là, si tu avais besoin de parler à quelqu’un de complètement extérieur à ta vie, pour n’inquiéter personne. Ça ne me dérangeait pas d’être extérieure, de n’être personne. J’étais triste parfois, de penser au fait que tu sois seul. Tu m’as dit être triste, une fois, de penser au fait que j’étais seule.

Un jour, j’ai compris que tu ne l’étais plus. Je refusais d’y croire. Je refusais que tu lui fasses ça et que tu me forces à endosser le mauvais rôle. J’avais été claire, on l’avait été tous les deux. On ne se doit rien, on ne s’aime pas et on ne se voit que si on est célibataire. J’avais respecté la règle la plus difficile, celle qui imposait de maîtriser l’immaîtrisable et toi, tu avais bafoué celle qui ne demandait que logique. Celle qui ne demandait que respect. J’ai mis un certain temps à m’en remettre, de cette non-relation. Ça a même été plus dur qu’une vraie, parce qu’il n’a pu être question d’aucun « mal pour un bien », d’aucun soulagement, notre relation n’était là que pour le bon et j’ai dû tirer un trait sur ce qui n’était que bon. Je ne comprends pas comment ton corps gère l’ocytocine et je n’ai pu faire autrement que te souhaiter le meilleur avant de disparaître de ta vie pour toujours. Je continuerai de me demander si tu vas bien, de me demander si la reine des neiges va bien. Et bien-sûr que je sais que ça ne me concerne pas. Si tu ne me recontactes jamais c’est que c’est sûrement le cas alors je continuerai de vivre dans cette contradiction, à mi-chemin entre l’espoir de te revoir et l’espoir que tu n’aies plus jamais à me contacter.

Une réflexion sur “A l’extérieur de ta vie

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