Comme d’habitude, on s’écrivait et cette fois, on plaisantait à propos de notre faux futur mariage. Sur le fait que j’aurais tout à gagner et que toi… tu m’aurais moi. « C’est déjà pas mal. Je dois y aller, je t’appelle ce soir. » Ton dernier message était celui-ci. Puis silence radio. J’ai d’abord cru que tu étais occupé. Très occupé. J’ai ensuite cru que tu ne voulais peut-être plus me contacter. Je n’y pensais pas trop, ces quelques jours. Ça me revenait parfois « J’espère qu’il va bien » puis ça passait. Puis ça revenait. Jusqu’au moment où c’est revenu comme un gigantesque boulet de canon qu’on aurait lancé dans mon estomac. « Il ne va pas bien ». « Il ne va pas bien ». « Il ne va pas bien ».
Hier soir, je buvais un verre de Banyuls. Peut-être même deux. Les bras de la sidération m’ont serrée plus fort que ceux de Morphée et après une non-nuit pareille, le soleil qui n’a visiblement aucune pitié pour toi a quand-même décidé de se lever. Alors moi aussi. Il faut continuer. Il faut démarrer la voiture, choisir la musique -aucune ne correspond à cette situation- et aller travailler car la vie, en tout cas la mienne, ne s’est pas arrêtée. Le portail s’ouvre, j’ai l’impression de te trépasser. Les gens vont au travail, les gens ont des enfants à emmener à l’école, les gens continuent de vivre. Peut-être qu’ils ont aussi bu un verre de Banyuls hier. Peut-être même deux. Ils s’en foutent, ils se foutent de toi. Je les déteste.
Cinq ans en arrière, je te demandais si tu voulais qu’on se sépare. J’avais joué aux devinettes, j’avais gagné et je m’étais larguée toute seule. J’avais jeté mon mégot et mon cerveau dans le cendrier, activé le pilotage automatique et avais réussi à paraître vivante durant les deux longues heures de mon cours particulier, face à ma prof qui me regardait si près qu’elle devait voir les tâches de rousseurs que je n’avais pas encore. La rupture a été monstrueusement difficile au début et j’avais fini par m’en sortir. J’avais fini par te retrouver et tu as fini par être le meilleur ami que l’on puisse avoir. J’ai vécu ces cinq dernières années dans le confort de ta présence. Je vivais avec la possibilité, l’éventualité de te demander du secours. Je vivais avec la possibilité que tu m’envoies un message. Je me croyais toute puissante, j’avais la certitude d’avoir la faculté d’être heureuse juste parce que je le décidais. Mais je n’avais pas essayé sans toi. Je devais faire sans désormais et rien ne pouvait plus me clouer à la solitude que cette idée-là. Cinq ans plus tard, je jette mon mégot et mon cerveau dans le cendrier, active le pilotage automatique et je ne sais pas si j’ai l’air vivante devant Mme Capelline qui me regarde si près qu’elle doit voir les rides que je n’ai pas encore. C’était tellement bien quand tu m’avais juste larguée. J’aurais préféré qu’hier soir tu me dises que je suis le pire sac à merde à qui t’as eu affaire au cours de ta vie mais au lieu de ça, tu n’as juste rien dit. Tu ne m’as juste pas parlée et si tu avais pu, tu l’aurais fait.
« – Qu’est-ce que tu as ? » Mme Capelline s’inquiète et j’ai bafouillé quelque chose comme « Rien, j’ai appris un décès ». Je te connais depuis trop longtemps. Je me suis construite avec toi j’avais fini par croire que tu étais un élément indéboulonnable à ma vie. Je reprends le volant et me souviens qu’il y a quelques années, c’était toi qui m’annonçais que j’avais mon permis. Les résultats tombaient en pleine nuit alors tu avais regardé à ma place pour me l’annoncer à mon réveil. Je déteste cette voiture. En temps normal, je trouve le temps long chez Mme Capelline mais pas aujourd’hui. Je n’ai ni notion du temps ni notion de rien.
Tu aurais explosé de rire si tu avais entendu ma mère me dire « Les gens croient en Dieu, toi tu croyais en lui ». Je t’aime si fort que j’ai envie de vomir et je ne sais pas comment vivre autrement qu’avec la ferme intention de pouvoir à nouveau t’entendre exploser de rire. J’ai trop de choses à te raconter et je le ferai, même si c’est dans très longtemps, même si c’est dans l’espace.
Très touchant… 🙂
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